Piratage : les filles comptent pas pour des prunes !
(Première partie)

Danielle KAMINSKY

En lisant sa déclaration, j’ai failli étouffer de rire : "A ce jour, personne n’a encore identifié de femme pirate significative. Mais mesdames, votre heure viendra."
L’homme qui tient ces propos devrait pourtant s’y connaître, c’est un agent du FBI. Provocation ? Ignorance ? Trou de mémoire ? Mmmm... Depuis belle lurette, dans le piratage, qu’est-ce qu’on trouve ? Des filles, bien sûr ! Danielle Kaminsky

N’écoutez pas les "experts". Des femmes pirates, il y en a et il y en a toujours eu. Même sur les mers, du temps des corsaires et des flibustiers. Mais contrairement aux hommes, les hackeuses sont plus discrètes et ne se vantent pas de leurs compétences pour épater la galerie. Pas plus qu’elles ne se la jouent pas "pirates" pour avoir lu trois sites warez. Quant à notre pseudo expert, qu’il consulte les annales de la police américaine, il y trouvera des cas de filles pirates. Petit rafraichissement de mémoire.

Le cerveau de l'opération : une mère de famille

1987 : la police américaine est sur les dents. Elle doit démanteler un réseau de fraudeurs au téléphone. Les intrus pénètrent les systèmes de messagerie vocale de plus d’une vingtaine de sociétés, s’y créent des comptes, et s’en servent pour téléphoner gratuitement et s’échanger des numéros de cartes bancaires volées. Le gang, fort de 150 complices, a cassé des codes PABX (Private Automatic Branch Exchange) pour s’octroyer par la même occasion l’accès aux appels longue distance. La bande ne lésine pas, la note atteint déjà plus de 9 millions de francs. La traque des policiers les conduit au cerveau de l’opération : Leslie Lynn Doucette, une femme de 35 ans, mère de deux enfants ! Connue des phreakers sous ses pseudonymes de "Kyrie" ou "Long-distance information", elle dirige le réseau de jeunes pirates qui la placent sur un piédestal. Elle leur enseigne son art du piratage par conférences téléphoniques. De tout le pays, ils lui envoient de l’argent. Cette brave mère de famille n’en est pas à son coup d’essai. Deux ans plus tôt, Leslie Lynn a fui le Canada avec ses deux gosses sous le bras. Et pour cause : elle venait d’y être condamnée pour fraude aux communications. Mais cette sanction ne la dissuade pas d’aller poursuivre ailleurs sa carrière lucrative de phreaker. Grisée par le succès, ou peut-être lassée de s’esquiver d’avions en chambres d’hôtel, elle court à la faute : elle contacte la juge Gail Trackeray pour se vanter de ses exploits et lui proposer de servir d’informatrice. Mais la juge ne l’entend pas de cette oreille. Elle remet aussitôt les bandes magnétiques de leurs conversations aux services secrets. C’est dans un appartement du nord de Chicago que les policiers arrêtent Kyrie en mai 1989. La chef de bande est condamnée à 27 mois de prison.

Susan Thunder, la reine du social engineering

Le cas de Susan Thunder est certainement plus célèbre. Souvent décrite comme une fille de mauvaise vie, limitée à ses frasques sexuelles, Susan Headley, alias Susan Thunder est en réalité la reine du social engineering. Sa route croise un jour celle de Lewis DePayne, dont elle devient la petite amie. Sous le pseudonyme de Roscoe, le jeune homme est le compagnon de piratage de Kevin Mitnick, et Susan fera désormais partie de la bande. Les garçons l’ont vite remarqué : Susan excelle dans l’art de la ruse pour parvenir à ses fins. La bande est inséparable, jusqu’au jour où Susan apprend que Roscoe la trompe. Devenue pirate par amour, Susan décide de se venger de cette infidélité. Elle sera le principal témoin à charge dans son procès, et y gagnera sa propre immunité. Maîtresse dans l’art de la manipulation, elle intervient au congrès des pirates de Defcon III à Las Vegas sur son thème favori : "Le social engineering ou l’art de la subversion psychologique". De conférences en démonstrations, Susan Thunder attire des nuées d’admirateurs. Des fans lui dédient un groupe de discussions sur l'internet. Mise au défi officiellement de pénétrer les systèmes d’une base militaire, avec pour seuls outils un ordinateur, un modem et un téléphone, la jeune femme réussit en quelques heures. Une fois encore, elle utilise sa meilleure arme : son pouvoir de conviction. En quelques coups de téléphone, et en se faisant passer pour l’assistante d’un haut gradé, Susan se fait "confirmer" les mots de passe nécessaires. L’ordinateur n’intervient qu’en second lieu. Un peu plus tard, Susan abandonne le piratage pour une autre activité où elle peut exercer à loisir son art du bluff : elle devient joueuse de poker professionnelle.

Bien sûr, ces affaires ne sont que la partie émergée de l’iceberg, il ne s’agit que de la facette délinquante du piratage. Pas de figure de proue à la Mitnick ? Les garçons en déduisent immédiatement, comme mon copain Olivier : "techniquement, elles assurent pas". Normal les gars, vous faites erreur sur nos motivations. Tenez-vous le pour dit : les filles sont peu attirées par la technique pour la technique. Et rien ne nous rend un garçon aussi risible et peu sexy que celui qui n’est branché que par la technique. Je vous épargne les blagues de filles à ce sujet.

Tout simplement plus malines

Mais surtout, le monde des pirates est depuis des années majoritairement blanc et masculin. Pas de quoi se sentir forcément à l’aise. Les filles n’y sont pas les bienvenues, traitées de prostituées ou de "lameuses" à peine elles pointent le bout de leur... nez. Poussées à se fondre dans la meute sous des pseudonymes masculins, ou à se retrancher entre consoeurs, les filles ont encore du mal à trouver leur place parmi les pirates. Enfin, prétendre qu’il n’y a pas de femme significative dans le piratage, c’est gommer une caractéristique qui n’a pas échappé, elle, à nos policiers français : " Qu’il n’y ait pas de filles pirates arrêtées par la police ne veut pas dire qu’il n’y en a pas. Les filles sont moins m’as-tu-vu et ne cherchent pas à attirer l’attention des foules sur leurs exploits. Elles sont peut-être tout simplement plus malines pour ne pas se faire pincer" explique Marcel Vigouroux, patron de la Brigade de Recherches en Criminalité Informatique.

Effectivement, des filles pirates font peu parler d’elles et sont pourtant actives. Pourquoi le font elles ? Et qu’est ce que çà peut faire qu’il y ait des filles pirates ? Rendez vous pour en parler dans le prochain numéro de Pirates Mag'. Mais d’ici là, j’attends vos commentaires : dkam@planetepc.fr.

Danielle KAMINSKY

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